Une étrange évasion
Dans la cour couverte de la gare du Nord, arrivait, hier, vers
1h de l'après-midi, un petit omnibus particulier à l'intérieur duquel on
remarque deux religieuses et une dame d'une quarantaine d'années, brune,
distinguée. À peine l'omnibus était-il arrêté, que la dame ouvrant la
portière sauta sur le trottoir comme si elle eût été expressément pressée. Les
religieuses se levèrent précipitamment pour la suivre.
Ce voyant rejointe par les sœurs, cette dame, qui, jusque-là,
avait eu une attitude très normale, se mit à pousser des cris de détresse :
-
- Au secours ! Au secours! Sauvez-moi !
Les passants se précipitèrent. Et comme les sœurs voulaient
les écarter et faisaient des efforts pour entraîner la dame avec elle vers l'intérieur
de la gare, quelques personnes les bousculèrent assez rudement et les
obligèrent à lâcher prise.
Sans l'arrivée des
agents elles auraient même été quelque peu malmenées, car un homme répétait :
- C'est une malheureuse qu'elles veulent enfermer contre son
gré, dans leur couvent !
Cette affirmation avait immédiatement rendu la foule fort
hostile.
Profitant de ces altercations et de ces bousculades, la dame
avait pris la fuite dans la rue de Dunkerque, courant à perdre haleine.
Elle était déjà loin lorsque les sœurs, enfin délivrées, eurent expliquées aux agents que cette dame était une folle qu'elles étaient
chargées de conduire de l'asile de Ville-Evrard, où elle venait de l'aller chercher, à l'asile d'aliénés de Saint-Venant , dans le Pas-de-Calais.
Les agents, et quelques-unes des personnes
présentes, partirent à la poursuite de la fugitive, qu'on apercevait de l'autre
côté de la place de Roubaix, se hâtant vers le boulevard Magenta.
Arrivée au carrefour formé par ce boulevard, la rue
de Maubeuge et la rue Saint-Vincent-de-Paul, elle tourna brusquement et sans la
moindre hésitation dans cette dernière rue.
Lorsque les agents arrivèrent à l'entrée de la rue
Saint-Vincent-de-Paul, ils la virent qui entrait précipitamment dans
l'allée de la maison qui termine la rue du côté des numéros impairs.
Cette maison, qui porte le numéro 25, fut fouillée de la
cave au grenier ; on explorera même les toits sans pouvoir retrouver la
trace de cette dame. Une locataire du premier étage, qui se trouvait à sa
fenêtre au moment où on donnait la chasse à la fugitive, a vu pourtant celle-ci
entrait dans l'allée et elle a même entendu le bruit de ses pas dans l'escalier.
Devant l'insuccès de ses recherches les religieuses : Mademoiselle Sidonie MAHIEU, en religion sœur Bathilde, et Mademoiselle Pharaide SNIKERTE, en religion sœur Claire, n'eurent d'autres ressources que
d'avertir le commissaire de police du quartier. Elles ont fourni à ce
magistrat les renseignements suivants sur la mission qui leur avait été confiée :
- Nous sommes attachés à l'asile départementale
de Saint-Venant (Pas de Calais). On vous a envoyé à Paris pour prendre à
l'asile de Ville-Evrard une aliénée que sa famille qui habite le Pas-de-Calais,
désirait voir transporter à Saint-Venant de façon à pouvoir la visiter.
Cette aliénée est la femme du percepteur de Houdain
Pas-de-Calais, elle se nomme Madame MEQUIN, née Besançon. Elle avait été
internée récemment, sur la demande de sa famille, à la suite de
faits prouvant qu'elle ne jouissait plus de la plénitude de ses facultés. Un
jour, elle vint à Paris avec son petit garçon, âgé d'une dizaine d'années. Elle
retourna seule ensuite chez son mari et refusa absolument de dire ce qu'elle
avait fait de son enfant, "je l'ai mis en lieu sûr" se contentait elle de
répondre. Jamais elle ne voulu dire à qui elle l'avait confiée.
Nous avons conduit Madame MEQUIN, de Ville-Evrard, à la gare du
Nord, dans une voiture fermée. Pendant tout le trajet, elle fut fort
calme. A 2 ou 3 reprises, cependant, elle avait répété : "comme les
gens qui peuvent aller librement sont heureux ! Ah! Je souffre."
Nous étions très loin de nous attendre, étant donné
son attitude, à cette fuite.
Ce matin, on était toujours sans nouvelles de Madame MEQUIN. Cette dame qui est grande est d'une assez forte corpulence portait une jupe
grise et un corsage de satin noir ; son jupon de dessous est bordé de
rouge. Elle est gantée de gants de fil gris. Elle n'avait sur elle ni argent ni
bijoux.